" Améliorer la vie des sols pour revitaliser les végétaux ! "
Alors que 2015 était l'année mondiale des sols, Gisèle Croq, ingénieur en charge de la conservation du jardin du Luxembourg, à Paris, a modifié les pratiques de gestion de cet espace historique pour faire revenir les lombrics et autres êtres vivants des sols au bénéfice des arbres, arbustes et massifs fleuris. Les prochaines années permettront de mesurer les impacts des profonds changements mis en place.
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« Nous étions confrontés à deux problèmes aigus dans ces espaces historiques qui constituent le jardin du Luxembourg, explique Gisèle Croq, ingénieur en charge de la conservation du lieu. D'une part, une réelle question de fertilité pour les arbres replantés depuis vingt ans et, d'autre part, une perte de vigueur des vieux massifs arbustifs. En même temps, notre lettre de mission était d'aller vers le développement durable. C'était la volonté de nos élus. Quant à moi, il me semblait impossible de ne pas envisager la gestion de cet espace dans une vision plus écologique et respectueuse de l'environnement ! » Le jardin du Luxembourg a été créé en plein coeur de Paris, dans le 6e arrondissement. Il forme le jardin du Sénat et se situe précisément derrière ce monument politique. S'étendant sur 23 hectares, il compte parmi les plus grands espaces verts de la capitale (avec le jardin des Tuileries, 25 hectares). Il est fréquenté par 6 à 8 millions de personnes chaque année, tant des habitants du quartier que des promeneurs ou des touristes.
Le défi n'a donc pas été mince à relever : les éléments structurants de cet espace historique ne pouvaient pas être modifiés. De même, sa qualité et son entretien ne devaient pas souffrir d'écarts. Sa propreté devait rester impeccable et son aspect très horticole maintenu. « Il s'agit d'un aménagement prestigieux, qui doit le rester et dont l'image très soignée doit être respectée », reconnaît Gisèle Croq. Alors comment appliquer le développement durable dans un tel contexte ? « Pour moi, le développement durable dans un jardin s'appuie sur la façon de s'occuper des sols, sur la gestion de l'eau et sur une autre façon d'envisager les végétaux. Nous avons donc repris nos études, effacé ce que nous avions appris et nous avons redécouvert d'autres façons de travailler. »
Arrêt des produits chimiques. Concernant les sols, deux grands types de problèmes étaient présents : un manque de fertilité pour les sols horticoles des massifs fleuris et arbustifs, et la compaction au pied des arbres, plantés sur des surfaces stabilisées. La première étape a été d'abandonner toute utilisation de produits chimiques, engrais, désherbants, traitements. Cependant, passer à une culture biologique n'était pas suffisant pour restaurer la qualité des sols. « Dans les massifs fleuris, nous avions des terres complètement déstructurées, explique Gisèle Croq, beaucoup trop travaillées, avec un taux de matière organique très important. Plus qu'il n'en faudrait dans les analyses, mais sans évolution de cette matière, car sans aucune vie biologique. D'ailleurs, l'absence de vers de terre m'avait choquée quand je suis arrivée à la direction de ce jardin ! » En effet, les sols étaient bêchés très régulièrement, une fois par an pour les arbustes et trois fois pour les massifs fleuris. Pour restaurer l'activité biologique et tenter la restructuration, plusieurs pratiques ont été modifiées : les massifs ne sont plus bêchés ou retournés au motoculteur, ils sont travaillés à la grelinette, ce qui ne retourne pas la terre mais l'aère seulement ; les pieds d'arbustes sont recouverts de mulch, soit du compost presque mûr produit dans le jardin, soit du BRF (bois raméal fragmenté) issu des tailles des arbres conduits en rideau. Seul le grand massif central requiert toujours l'intervention d'un motoculteur pour des raisons de temps de main-d'oeuvre. Le taux de matière organique et l'activité des micro-organismes sont suivis à travers des analyses de sols régulières menées par le laboratoire de la Ville de Paris. Des comptages de vers de terre seront mis en place cette année. « Le non-retournement du sol est primordial pour ne pas perturber la vie biologique. Car le mélange des horizons perturbe fortement les bactéries et les champignons, qui tiennent un rôle essentiel dans la structure et la fertilité. »
Mulch et grelinette. Le compost est fabriqué sur place avec la totalité des déchets végétaux du jardin. Le fumier des chevaux de la Garde républicaine est récupéré pour activer le compost. Les feuilles des arbres ne sont plus laissées dans les massifs à cause de la mineuse du marronnier. Le compost est monté en température pour être désinfecté et il est ensuite épandu en couches épaisses dans les massifs d'arbustes. « Au début, nous épandions aussi du compost mûr en mulch sur nos massifs fleuris. C'était très intéressant pour les économies d'eau. Mais comme cette matière organique n'a pas le temps de se décomposer, le sol était trop déséquilibré, trop riche en matière organique. Maintenant, nous considérons donc ces massifs comme des jardinières de longue durée. Nous en renouvelons, en partie, le substrat régulièrement et nous apportons des engrais organiques pour soutenir la croissance des fleurs. Préserver ces réalisations - changées trois fois par an -, se fait cependant au détriment du développement durable. Nous continuons à dégrader le sol et nous sommes consommateurs de terre. Mais comment faire autrement pour pouvoir poursuivre le fleurissement du jardin ? »
La question du sol dans lequel s'enracinent les arbres pose, par ailleurs, un tout autre problème. « Nos arbres manquaient d'air et d'eau », constate Gisèle Croq. À l'occasion de l'arrachage de sujets qui devaient être remplacés, le constat avait été fait que la fosse d'implantation était loin d'être explorée par les racines de l'arbre, même quand elle pouvait être protégée du piétinement. Lorsqu'un seul individu était remplacé, il était soumis à la concurrence pour l'eau et la lumière avec ses voisins. La terre était devenue totalement infertile, très compacte et asphyxiante. La décision a donc été prise de ne remplacer les arbres que par zones complètes, pour éviter ces phénomènes de concurrence. Puis la terre des fosses a été complètement changé, avec un mélange terre et pierre, constitué de terre végétale et de deux tiers de pouzzolane de gros calibre, 60-80 ; la pouzzolane constituant un véritable squelette destiné à éviter l'asphyxie du sol. Les surfaces en stabilisés sont également traitées différemment. Il n'y a plus d'incorporation de ciment dans les allées sous les arbres, mais un mélange de terre et sable, qui se dégrade plus vite, qui est facile à reprendre, et surtout qui laisse passer l'air. Il n'y a pas de problème d'enherbement car le piétinement des visiteurs l'assure à lui seul. Quand une zone entière du jardin du Luxembourg est replantée, les fosses sont reconstituées en tranchée continue. Enfin, des tranchées de collecte des eaux pluviales de ruissellement apportent l'eau en profondeur dans les fosses. De plus, un système d'arrosage est installé à chaque nouvelle plantation pour aider la reprise des sujets pendant les premières années.
« Nous avons mis en place un programme décennal de remplacement de nos arbres. Une centaine doit être replantée chaque année. Les pieds de ces végétaux sont de plus en plus paillés. Et nous avons diversifié les espèces pour répondre aux problèmes sanitaires du marronnier, largement majoritaire pour l'instant », poursuit Gisèle Croq. Ainsi, Acer cappadocicum, Celtis australis, Ostrya carpinifolia, Gleditsia ou encore Koelreuteria paniculata, variétés choisies pour leur frugalité, viennent petit à petit prendre la place des marronniers. « Nous espérons que ces paillages systématiques relanceront l'activité biologique du sol et redonneront un minimum de structure et de fertilité aux sols en place », conclut Gisèle Croq. Les années à venir le diront.
Cécile Claveirole
Le jardin, situé derrière le Sénat, doit, par son histoire et sa situation, garder un caractère très horticole. Des deux côtés de cette pelouse, des replantations d'arbres en tranchées continues ont été réalisées.
Un mélange terre-pierre avec de la pouzzolane de gros calibre est utilisé pour décompacter et aérer les arbres nouvellement plantés.
Les marronniers du parc, plantés en mails serrés, sont peu poussants. Malades, ils sont atteints par le chancre bactérien qui touche cette espèce.
Le BRF (bois raméal fragmenté), installé en paillage dans les massifs d'arbustes, doit améliorer la vie biologique et la structure des sols.
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